Talents exceptionnels mais autrefois discrets et dociles quant à leurs prises de position, les stars du monde du sport se découvrent aujourd’hui un autre pouvoir, celui de l’influence! Et en 2020, les équipes et les ligues n’ont d’autres choix que d’endosser…


Pour avoir refusé, en avril 1967, de se rapporter à son bataillon lors de la
guerre du Viêt Nam, le grand Mohammed Ali sera condamné à cinq ans d’emprisonnement (qu’il n’a pas servis) et sera déchu de son titre de champion du monde de boxe. Pour avoir tous deux levé un point ganté de noir, symbole des Black Panthers, lors de la cérémonie de remise des médailles de l’épreuve du 200 mètres lors des Jeux olympiques d’été de Mexico en 1968, les sprinters américains Tommie Smith (or) et John Carlos (bronze) seront expulsés du village olympique et bannis à vie de toute compétition. Conspués, menacés de mort et ostracisés, ces athlètes d’exception ont eu le courage d’affirmer haut et fort leurs convictions, et ont à l’époque chèrement payé ce même courage.

Une nouvelle ère

Un demi-siècle plus tard, force est de constater que la donne a bien changé! D’une part, les athlètes contemporains sont à la fois plus éduqués et mieux informés. Mais, surtout, ils jonglent aujourd’hui à merveille avec les multiples plateformes technologiques afin de faire valoir leurs idées et leurs opinions aux millions de fans qui les suivent. « L’industrie [du sport] réalise que les stars d’aujourd’hui veulent qu’on se souvienne de leurs positions hors du terrain autant que de leurs performances sur celui-ci », résumait avec justesse un agent de joueur de foot, cité par Ben Lyttleton dans son article[1] publié sur le site Internet de la revue strategy+business. Ces athlètes aux origines souvent modestes n’hésitent désormais plus à dénoncer des situations intenables ou à épouser des causes ou des enjeux sociaux. Et ces élans d’authenticité, pour lesquels les équipes ou les autorités sportives compétentes auraient rabroué leurs auteurs il n’y a pas si longtemps, sont aujourd’hui acceptés par ces dernières, voire même encouragés.

Prenons le cas du quart-arrière Colin Kaepernick. Sur la ligne de touche depuis qu’il s’est agenouillé en 2016 afin de protester contre la violence policière à l’égard des Afro-américains[2], l’athlète du Wisconsin a finalement reçu, quatre ans plus tard, des excuses indirectes de la part du grand patron de la National Football League (NFL) : « Nous, la Ligue nationale de football, admettons que nous avons eu tort de ne pas écouter les joueurs de la NFL plus tôt, et nous encourageons tout le monde à s’exprimer et à manifester pacifiquement », a finalement admis en juin dernier le commissaire Roger Goodell. Pour sa part, la National Basketball Association (NBA), a depuis longtemps fait le choix de l’authenticité et de l’intégrité à celui des profits en permettant à ses joueurs de s’exprimer ouvertement, comme le font si bien LeBron James et Stephen Curry, par exemple. Premier champion du monde de Formule 1 issu de la diversité, Lewis Hamilton a profité de son immense popularité pour dénoncer le racisme et a forcé la puissante Fédération internationale de l’automobile (FIA) à prendre également position sur ce problème social criant. Quant à la footballeuse Megan Rapinoe, vedette de l’équipe nationale féminine américaine, celle-ci s’est également agenouillée, à l’instar de Colin Kaepernick, contre toute forme de discrimination, qu’elle soit notamment basée sur l’ethnie, sur le genre ou sur l’orientation sexuelle. « Étant homosexuelle aux États-Unis, je sais ce que c’est que de regarder le drapeau et de savoir qu’il ne protège pas toutes nos libertés », a-t-elle déclaré. Aussi pointée du doigt par ses patrons à l’époque, celle qui fut nommée The Best – Joueuse de la FIFA l’an dernier a aussi eu droit à un coup de fil d’excuses en provenance de la United States Soccer Federation, mais seulement au printemps dernier…

La lunette stratégique, toujours!

Les angles pour observer ce phénomène récent sont évidemment multiples. Mais dans la perspective stratégique qui est la nôtre, on peut comprendre ces prises de position audacieuses de la part de ces stars, tout comme la réponse positive des équipes et des organisation sportives, à la lumière de ces deux concepts.

  • La mercantilisation du monde du sport. À l’impulsion des forces économiques actuellement à l’œuvre, les organisations sportives (professionnelles, amateures ou étatiques) adoptent de plus en plus des manières de faire et de penser propres aux entreprises. Les comptes à rendre sont de plus en plus nombreux et, par exemple, certains clubs de football européens (Manchester United, Juventus ou l’Olympique Lyonnais) cotés en bourse doivent également faire part à leurs actionnaires de leurs initiatives en matière de RSE, nous ramenant ainsi à l’importance de ce concept évoqué au paragraphe précédent.

Le temps des sportifs d’élite désintéressés ou bridés est véritablement révolu! Place à l’authenticité, pour le plus grand bénéfice de tout un chacun!

François Normandin
M.Sc. (Histoire), M.A.P., M.B.A.
Chargé de cours et professionnel de recherche, Pôle sports HEC Montréal
Animateur du blogue Échec et Strat